Le 12 mai 2025, le think tank Terra Nova publiait un rapport intitulé « Les travailleurs immigrés : avec ou sans eux ? ». Derrière ce titre volontairement provocateur, c’est un diagnostic rigoureux, lucide et courageux qui est posé : la France ne peut tout simplement pas faire l’économie de l’immigration de travail. Le nier, c’est choisir l’asphyxie de son modèle social.
Une dépendance structurelle tue dans l’œuf
La première force de ce rapport réside dans sa capacité à remettre les choses à l’endroit. Car depuis des décennies, le débat public sur l’immigration est dominé par des passions tristes, des réflexes identitaires et des peurs agitées à chaque élection. Rarement par les faits.
Or les faits sont implacables : les immigrés occupent une place centrale dans le fonctionnement de notre économie. Le rapport liste avec précision les secteurs particulièrement exposés à une pénurie chronique de main-d’œuvre : santé, bâtiment, aide à la personne, hôtellerie-restauration, agriculture, logistique, sécurité, numérique. Dans ces domaines, l’apport des travailleurs immigrés n’est pas marginal, il est vital.
La crise du Covid-19, en figeant brutalement les mobilités internationales, a révélé au grand jour une réalité jusque-là invisibilisée : sans cette main-d’œuvre venue d’ailleurs, nombre d’activités essentielles seraient à l’arrêt. Le mot « indispensable » n’est pas trop fort.
Un déclassement systémique, coûteux pour tous
Pourtant, ces travailleurs ne sont pas traités à la hauteur de leur contribution. Le rapport documente un déclassement massif : diplômes non reconnus, compétences ignorées, perspectives de carrière limitées, discriminations à l’embauche et à la promotion.
Ce déclassement ne constitue pas seulement une injustice morale. Il représente un gâchis économique colossal. L’économie française, déjà soumise à des tensions sur la productivité et la compétitivité, se prive ainsi de ressources humaines qualifiées, simplement parce qu’elles n’ont pas le « bon » lieu de naissance. En termes d’efficacité, c’est une aberration.
Le mythe du coût de l’immigration
L’un des apports les plus importants du rapport réside dans sa démystification du prétendu « coût » de l’immigration. Cette idée, véhiculée depuis des décennies, repose sur une lecture déformée des chiffres et sur une confusion volontaire entre différents types d’immigration.
Terra Nova montre au contraire que les immigrés – notamment les actifs – contribuent significativement au financement du système social français. Le cas de la Seine-Saint-Denis est emblématique : présenté comme un département « à problème », il est en réalité l’un des plus jeunes et actifs de France, et donc un grand contributeur net en matière de cotisations sociales.
La vérité est que sans immigration, le financement des retraites, de l’assurance maladie, et du reste de l’État social deviendra insoutenable. Et cela, même les plus orthodoxes des économistes le reconnaissent.
Le tournant démographique : 310 000 immigrés supplémentaires par an ?
L’une des parties les plus frappantes du rapport concerne les projections démographiques. La France, comme le reste de l’Europe, entre dans une période de déclin de sa population active. Baisse de la natalité, vieillissement généralisé, allongement de l’espérance de vie : autant de facteurs qui fragilisent le ratio entre actifs et inactifs.
Face à cela, l’immigration apparaît non pas comme un choix politique, mais comme une nécessité mathématique. Selon les calculs du rapport, pour maintenir un équilibre acceptable entre cotisants et bénéficiaires des prestations sociales, la France devra accueillir chaque année environ 310 000 immigrés de plus d’ici 2040-2050. Et cela, sans compter les aléas géopolitiques et climatiques qui pourraient accentuer les flux.
Une politique d’immigration économique à repenser
Mais accueillir ne suffit pas. Encore faut-il savoir pourquoi, comment, et pour qui. Terra Nova plaide pour une refonte de la politique d’immigration autour de trois axes majeurs :
Flécher l’immigration vers les secteurs en tension, en lien avec les réalités du marché de l’emploi.
Mieux reconnaître les diplômes et compétences étrangères, pour éviter le déclassement et valoriser les talents.
Renforcer les politiques d’intégration, en particulier sur le logement, l’apprentissage du français, l’accès à la formation professionnelle et les droits sociaux.
Ce que propose Terra Nova n’est ni une ouverture sans condition ni un repli frileux, mais une politique d’immigration économique stratégique, maîtrisée et assumée.
Un appel à la responsabilité politique
Enfin, ce rapport est un appel – discret mais ferme – à la responsabilité des décideurs. Il les invite à sortir de l’ère des postures pour entrer dans celle de la rationalité. La France a besoin d’immigration. Non pas pour des raisons morales, mais pour des raisons économiques, démographiques, et sociales. Il est temps d’avoir le courage de le dire.
En guise de conclusion :
Le rapport de Terra Nova constitue une contribution précieuse à un débat miné par les caricatures. Il propose une voie exigeante, mais réaliste : assumer que l’immigration de travail est une richesse à condition de la penser comme un investissement, pas comme un problème à contenir.
La France n’a plus le luxe d’attendre. Le choix n’est plus entre immigration ou pas, mais entre chaos subi et politique anticipée. Et ce choix, il est politique, juridique, et profondément humain.
Par Me Fatou Babou – Avocate en droit des étrangers et de l’immigration professionnelle